LA MINE DE CUIVRE PRÉHISTORIQUE DE SAINT-VÉRAN - LES CLAUSIS (HAUTES-ALPES, FRANCE)

Reconstitution grandeur nature des travaux miniers préhistoriques de Saint-Véran – les Clausis et des outils qui y étaient employés, réalisée en 2000 au Musée départemental des Merveilles de Tende à l'occasion de l'exposition "Les Alpes au temps de Minos", d'après les renseignements des auteurs du présent article (photos Luigi Chiaverina).

Le complexe minier et métallurgique de Saint-Véran – les Clausis (Queyras, Hautes-Alpes) est situé dans la haute vallée de l'Aigue Blanche, un sous-affluent du Guil, à une altitude de 2 250 à 2 600 m et à 3 km seulement de la ligne de partage des eaux avec le versant italien du val Varaita (Cuneo), aisément accessible par des cols élevés mais commodes, parmi lesquels en particulier le Col de Saint-Véran (2 844 m) et le Col de Longet (2 650 m).

L'ÉCLAIRAGE
L'éclairage des travaux souterrains préhistoriques, datant du chalcolithique / bronze ancien, était assuré par des torches composées d'environ 10 à 15 éléments de pin sylvestre attachés par un anneau en mélèze; ces éléments présentent une section carrée avec une longueur de 0,2 m et résultent du débitage de troncs importants. Après combustion, certains éléments semblent avoir été récupérés pour la création de nouvelles torches en inversant l'extrémité brûlée, leur longueur souvent faible interdisant la tenue manuelle directe de ces torches.
Il a été rencontré des baguettes correspondant à des branches de saule de diamètre 2 à 3 cm environ, coupées en deux par la longueur avec des extrémités arrondies et une encoche à 2 cm environ de l'extrémité, cette encoche ne concernant que la partie arrondie de la baguette et non la partie sectionnée.
Il s'agit, à notre sens, d'un dispositif de "fourchette", avec deux baguettes reliées à une extrémité par un lien permettant de maintenir, par la souplesse de l'essence choisie, les torches en pin sylvestre tenues ensemble par un lien en mélèze, de façon à permettre une combustion maximale sans risque de brûlure.
Cette pratique a été décrite au XIXe siècle par L. Simonin, avec des dispositifs voisins dans les mines d'Amérique du Sud pour maintenir des bougies.
Ces éléments de torches incomplètement consumés constituent des accumulations importantes dans les travaux souterrains, pouvant dépasser le mètre cube.

BIBLIOGRAPHIE
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Pour en savoir plus: studio@antropologiaalpina.it

LE CREUSEMENT
Une partie importante du creusement des travaux souterrains a été réalisée par des moyens mécaniques, un outillage développé ayant été mis en évidence.
L'examen de l'outillage utilisé pour le creusement met en évidence une spécialisation des outils avec:
– des pics en cornillons de chèvre avec des traces de liens à leurs bases, souvent très abîmés à leur extrémité et inaptes au creusement des roches résistantes (quartzites) ou du minerai massif; ces pics en os ont pu être utilisés pour les travaux dans les chloritoschistes, où les maillets classiques étaient inefficaces;
– des "maillets" en roches vertes alpines très compactes (éclogites, prasinites, omphacitites) prélevés sur le versant italien du Mont-Viso (haut val Pô et val Varaita); il s'agit de galets torrentiels sans gros aménagements mais comportant des gorges très peu marquées et toujours très fragmentés par l'utilisation; ces maillets, qui présentent des traces de percussion et de nombreux éclats, ont dû être utilisés pour les travaux dans les quartzites massifs et subissaient une évolution morphologique importante au cours de leur durée de vie, avec les très nombreux éclats détachés qui témoignent de plus de la violence de la percussion;
– une masse en éclogite qui ne se distingue des maillets que par sa taille plus importante et dont le poids suggère l'utilisation d'un dispositif de type "chèvre" ou chevalet;
– des "pics" en roches vertes alpines très plats, avec des gorges latérales et traces de percussion sur leurs côtés; cet outillage paraît bien adapté à l'abattage du minerai sulfuré massif et en particulier pour réaliser la récupération soigneuse des placages de minerai dans les replis du toit quartzitique; un pic semblable en quartz a été rencontré dans les haldes du gîte Sud-Est du Peirol à Collobrières (Var).

Il s'y adjoint une forte probabilité de réemploi in situ des quartzites présents dans la mine avec des "coins" découpés naturellement par le diaclasage de la roche et présentant à leur face supérieure plane des traces de percussion. Nous avons ainsi également rencontré sur les différents gîtes de cuivre du Peirol à Collobrières une réutilisation des quartzites encaissant les filonnets de chalcopyrite comme outillage lithique.
Il a été rencontré des pièces de bois de mélèze très plates, 0,5 à 2 cm d'épaisseur, longues de 0,3 à 0,5 m et larges de 0,2 à 0,3 m, avec une extrémité effilée par l'usure, auxquelles un usage de "pelle" a été attribué.
L'absence d'éléments de bois clairement attribuables aux emmanchements des outils de creusement pourrait résulter d'un recyclage dans les feux de mines d'une partie du matériel ligneux.
Des travaux de creusement thermique ont été également conduits (travaux au feu), comme en témoignent les traces de passage au feu des quartzites (rougissement superficiel lié à la présence de grains microscopiques d'hématite); on observe également des indices de fusion des riebeckitites, certains blocs présentant une face d'aspect brillant bulleux ou scoriacé.
À cet égard, il convient d'éviter la confusion de ces matériaux fondus à la chaleur des feux de mines avec des scories; des échantillons de ce type se rencontrent en effet fréquemment dans les galeries et haldes de divers sites travaillés au feu, quelle que soit l'époque (travaux pour galène argentifère de Faravel à Freissinières dans les Hautes-Alpes, de Vallauria à Tende dans les Alpes-Maritimes...), et traduisent la présence dans les roches encaissantes de minéraux sodiques avec un point de fusion peu élevé (albite...).
Les travaux au feu se traduisent, dans ce contexte, par des fragments rocheux présentant une partie fondue d’allure scoriacée alors que le reste de la roche est intact.
Une petite proportion de riebeckite a ainsi été récupérée avec le minerai afin de servir de fondant dans les opérations métallurgiques de traitement de la bornite.

(Extrait de l’article: ROSTAN P., ROSSI M., GATTIGLIA A. 2000. Approche économique et industrielle du complexe minier et métallurgique de Saint-Véran (Hautes-Alpes) dans le contexte de l'âge du bronze des Alpes du Sud. La métallurgie dans les Alpes Occidentales des origines à l'an 1000. Extraction, transformation, commerce. IXe [en réalité Xe] Colloque international "Les Alpes dans l'antiquité", Tende 2000: 53-73. Paris - Nice - Tende: Muséum National d’Histoire Naturelle – Laboratoire départemental de Préhistoire du Lazaret – Musée départemental des Merveilles).